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Chronique
Le temps des camelots

Je suis allée à la foire et le monde de mon enfance m’est revenu d’un coup de râpe multi-usages et de fauteuil massant à vertus multiples.

Par Huguette Dreikaus « Mer gehn uff d’ustellung », disait jadis maman et j’avais le coeur en joie à l’idée de retourner à la foire manger des chips à la crevette, de la soupe aux pois et au jambon ou des tartelettes au fromage jurassien. On déambulait entre les camelots qui vantaient les mérites d’un aspirateur avale-tout, d’un détacheur-miracle, de râpes multi-usages et du fauteuil massant. Mon père, cobaye heureux, témoignait publiquement des bienfaits dudit fauteuil : il s’exprimait par des borborygmes et des cris compris entre les roucoulements du pigeon et les gloussements de la dinde.

La Lorelei des étalages

Je suis allée à la foire comme tous les ans depuis quarante ans. J’y ai retrouvé , comme tous les ans, les aspirateurs avale- tout, les détacheurs-miracles et les fauteuils massants. Tout était là, mis à part les tartelettes de fromage et la soupe aux pois et au jambon. Elles étaient remplacées par d’innommables tartines gratinées, celles avec cette forte odeur de gruyère qui étouffe la senteur des sapins et l’arôme de vin chaud sur les marchés de Noël. Qu’importe ! Je me suis rassasiée des images de tous ces gadgets qui, jadis, éveillaient ma curiosité d’enfant. Retour vers le passé mais aussi « going towards the future », ce qui veut dire que je suis allée à la recherche d’inventions nouvelles pour améliorer mon quotidien de ménagère. Balai avec bac pour ne plus mettre les mains dans l’eau. Nettoyeur à vitres téléscopique pour éviter les chutes d’échelle. Chiffons qui aspirent la poussière. Je me suis délectée du spectacle des camelots. Des shows magnifiques entre les injonctions « Viens-là toi avec ta barbe-à-papa, arrête de bouffer, j’ai un truc pour toi, tu vas voir ! », les superlatifs « c’est un appareil unique au monde, primé dans les foires de Chicago, de Kuala Lumpur et de Romorantin », les flatteries « je sais, votre intérieur est d’une propreté remarquable mais à quel prix ! Madame, je vous offre des heures de liberté » et l’humour noir « vous pourrez passer plus de temps avec votre amant ; il vaut mieux l’enlacer lui que d’étreindre la serpillière ». On est subjugué, on obtempère, le camelot de foire est la Lorelei des étalages. Mais à la maison, on fait les comptes : 60 euros pour un balai ! 400 francs ! Encore une fois, on s’est laissé piéger par l’euro. On oublie qu’un euro, c’est 6,55957 francs. 60 euros, c’est cher pour un balai. Tout comme 2,50 euros, c’est cher pour un café. De retour à la maison, on est frappé du syndrome de Cendrillon : l’euro se transforme en francs comme le carrosse redevient citrouille. L’euphorie tombe. Le café donne des renvois amers. Le dimanche suivant, on lit dans les annonces du journal : « Vends balai à bac. Jamais utilisé. Prix sacrifié ».

© Dernières Nouvelles D’alsace, Jeudi 20 Septembre 2007. / Infos Nationales Droits de reproduction et de diffusion réservés